L'écorce
On m'avait dit ce sont des paysages et sans m'en rendre compte je m'étais mise à attendre du ciel, de la mer, du bleu, un astre, de l'oxygène et éventuellement, va savoir, l'été. On n'avait pas précisé la focale et je vois bien, une fois précipitée dedans tête la première : ce sont des paysages. Pourtant ils sont si près que je les hume, les arbres ont des yeux profonds et des bras et des jambes, ils ont une carapace de peau rêche et terreuse et font mine, parfois, de serrer autour de mon cou. Ou bien, tête coupée, ils narguent le visiteur de leur gloire passée.
Certains se déhanchent au vent, semblent danser. D'autres sont insondables, minéraux, secs, tendus vers rien, le vent qui passe à travers la montagne ne parvient pas, dirait-on, à troubler leur fierté. Ou bien les a-t-il déjà rendus fous. Ceux-là sont peut-être morts. Je respire leur odeur de brûlé mouillé, et parfois leurs ronces m'éraflent la main. Ce sont de longs doigts de sorcière qui s'entrelacent et laissent filtrer un peu de bleu. Un ruisseau. On s'y casserait la figure. On aurait les genoux pleins de boue. On glisserait sur leurs feuilles déjà plus très vertes ou carrément jaunies. Leurs membres croisés dessinent une fenêtre, un cadre, un triangle. On devine à travers le mikado des branches le bleu du ciel et le vert doux des fougères. Une lumière perce le rideau de leurs cheveux. C'est une barrière ou un belvédère. Un interdit et une invite. Il suffit d'enjamber.
Le parcours est sinueux, escarpé. Silhouettes inégales. Tronc moussu et sensuel, colosse aux airs de baobab, tronc calciné dans la tempête. Chorégraphie vespérale tout bouge autour mais l’arbre ne plie pas. Les pins n’ont rien de parasol, ils se tendent parfois vers le ciel comme des clochers ou des sexes. Il y a du rugueux, du brutal, dans le sentier à hauteur d’homme. C’est surtout la peau, la texture de la peau. Veinée ou écartelée. Rêche. Epineuse. Sèche ou trempée, ici râpeuse. Les branches ici ont cassé dans un craquement sinistre. Les racines déplacent un rocher et les feuilles froissent. D’habitude en Corse j’entends la mer. Ici c’est surtout ce frisson des feuilles qui arrête le regard.
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Claire Legendre, février 2017 (extrait)
















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